IX

L’homme dit :

— Le président n’a pas voulu vous contacter par lettre ou par téléphone. Ne me demandez surtout pas pourquoi, je n’en sais rien moi-même. On m’a seulement demandé de vous porter ce message verbal.

Tincrowdor regardait par une fenêtre de la salle de séjour. L’homme était assis sur un canapé, une tasse de café à la main. Morna, la femme de Tincrowdor, était absente. L’homme s’en était assuré avant d’entrer dans la maison.

Là-bas, dans la nuit sans lune, il y avait un champ, et au milieu de ce champ se dressait un très vieux sycomore. Non loin de ses racines, le terrain avait été aplani, et il y poussait une herbe nouvelle. Sous l’herbe reposait une carapace dure, déchirée d’un côté, pleine de chair avariée et de vers blancs. Tincrowdor était le seul à le savoir parce que c’était lui qui l’avait enterrée, et il n’avait pas l’intention de partager son secret avec qui que ce soit. Il ne voulait pas que l’histoire de Paul Eyre se répète.

Son sang était-il habité par des millions de petites créatures jaunes en forme de briques ? Probablement. Il n’avait pas l’intention de faire procéder à une analyse. Cette fois-ci, le cours des événements serait différent.

Il se tourna et dit :

— Ainsi donc, vous ne savez pas ce que signifie ce message ?

L’homme parut inquiet.

— Je vous préviens que je m’en irai si vous essayez de me dire quoi que ce soit.

— Ne vous faites pas de bile, dit Tincrowdor. Vous pouvez dire au Président que je serai muet comme la tombe et qu’il n’a pas à s’en faire pour moi. Dites-lui aussi que je suis désolé de ne pas pouvoir recevoir une décoration officielle. Je ne l’accepterais pas. Mais vous pouvez lui dire que si j’avais su qu’il se servirait de mon plan, je... non, rien, dites-lui seulement que c’est le roi des menteurs. Il m’avait promis...

L’homme avait l’air terrorisé, à présent. Tincrowdor ajouta :

— N’y pensons plus. Dites-lui seulement que je le remercie. L’homme reposa la tasse et se leva.

— C’est tout ?

— C’est tout ce que j’ai à dire et que je dirai jamais à ce sujet. Et je suis persuadé que vous crevez d’envie de savoir la vérité. Et moi, je sais parfaitement ce qui se passerait si vous étiez au courant.

L’homme leva les sourcils. Il prit son chapeau et dit :

— Au revoir, Mr. Tincrowdor.

Il ne lui tendit pas la main, mais hésita devant le pas de la porte.

— Vous connaissiez bien Paul Eyre ?

— Aussi bien que le premier venu aurait pu le connaître.

— Je vous demande cela parce qu’il a guéri ma femme d’un cancer au stade final.

— Je ne savais pas. Mais je comprends maintenant pourquoi vous ne pouvez dissimuler votre curiosité.

— C’est vraiment étrange ! s’écria l’homme. Il a disparu en un instant, et il n’y avait pas la moindre trace ! Dire que deux douzaines d’hommes le gardaient ! Sans parler du FBI ! Vous croyez qu’il s’est envolé ? A moins que des agents étrangers...

— Je préfère ne pas spéculer.

— Quoi qu’il en soit, le monde ne sera plus jamais le même.

Tincrowdor lui sourit et dit :

— Vous n’avez jamais été aussi proche de la vérité.

— Un homme tel que lui ne meurt pas vraiment. Il continue de vivre en nous.

— Chez quelques-uns d’entre nous, tout au moins, dit Tincrowdor. Au revoir, Mr. Sands.

Tincrowdor se versa un autre bourbon dès que l’homme fut parti. Eh bien, se dit-il, Eyre savait certainement qu’il avait à se venger de quelqu’un. Il est venu tout droit ici. Il ne pouvait pas le savoir, mais il a dû se douter que j’étais l’auteur du plan. Pourtant, le Président m’a dit que le plan avait été repoussé. Je ne tenais vraiment pas à être responsable de la mort de Paul.

Quand il se changeait en soucoupe volante, son pouvoir de tuer ou de guérir par la pensée n’avait pas d’effet. Il fallait piéger Eyre sous cette forme. Et l’appât ? Ce qu’Eyre désirait le plus, c’était un compagnon. Tout concorde, n’est-ce pas ?

Eyre m’avait dit comment il percevait les objets, et je savais qu’il ne se laisserait jamais prendre par un leurre. Il fallait qu’il contienne quelque chose de vivant. Ç’a été le cas de la carapace. Elle contenait un essaim d’abeilles.

Eyre avait été joué trop longtemps pour ne pas être pris. La bombe atomique enfouie sous le leurre était reliée à un radar. L’image enregistrée par le radar était la seule qui pût faire exploser la bombe atomique.

Bien entendu, tous les gouvernements poussèrent des cris d’indignation devant cette utilisation illégale de la bombe, même si les États-Unis avouèrent qu’il ne s’agissait de rien d’autre que d’un accident. Cela calma l’opinion publique. Par la suite, les chefs de gouvernement furent secrètement informés de la mort de Paul Eyre. Les hauts cris cessèrent, les excuses furent acceptées.

Le radar avait repéré Eyre dans la région de Busiris, Illinois, et il ne lui était pas difficile d’imaginer la consternation qui en était résultée. Mais on n’avait découvert aucun reste, et l’on en avait déduit – du moins, le supposait-il – qu’Eyre était tombé dans le fleuve ou dans les bois environnant la ville. Une fouille discrète avait été menée, en vain. Les mois passèrent, et avec eux l’agitation des personnages officiels.

Il y avait pourtant eu une chose que Tincrowdor n’avait pas comprise. Eyre n’avait pas trouvé de compagnon : comment avait-il donc pu lâcher un nuage de gamètes ? Si la soucoupe humaine libérait ses gamètes et s’il n’y avait pas de fertilisation croisée, les gamètes ne contiendraient que des gènes maternels.

Après avoir beaucoup réfléchi à la question, il s’était dit que cela n’avait aucune importance. L’être avec qui un gamète s’unissait finirait un jour ou l’autre par trouver un compagnon. Et s’il ne trouvait pas, il transmettrait ses gamètes à une autre personne, qui se mettrait alors en quête d’un compagnon.

A moins qu’il n’y eût ni accouplement, ni fertilisation croisée, au sens terrestre du mot, bien entendu. Chaque forme adulte produisait des gamètes, destinés uniquement à se fixer et à s’unir avec une créature entièrement différente. Peut-être même avec un représentant d’un tout autre ordre. Avec un végétal, pourquoi pas ? ou même avec quelque chose qui ne fût ni animal ni végétal.

Qu’importe la théorie ? La réalité suivait librement son chemin.

Il s’approcha de la fenêtre et leva son verre à l’adresse de la masse invisible et inerte enfouie sous les arbres.

— Tu as gagné, Paul Eyre. Toi et ceux de ta race. Cette race qui sera bientôt la mienne.

La porte s’ouvrit et sa femme, Morna, entra.

Il lui dit bonjour et l’embrassa ; et, ce faisant, il se souvint de cette nuit où, tandis qu’elle dormait, il avait enduit sa main de la matière jaune, semblable à du mercure.

Il ne savait pas s’il l’avait fait par haine ou par amour. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il ne voulait pas s’aventurer seul dans l’inconnu.

Station du cauchemar
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